mercredi 15 janvier 2014

Courtage immobilier : de la flexibilité svp

Paru le 15 janvier dans LaPresse, page A17, sur LaPresse+ et sur lapresse.ca

Tandis que des dizaines de milliers de propriétaires s’apprêtent à mettre leur immeuble en vente, les courtiers immobiliers du Québec s’offrent actuellement une campagne publicitaire pour promouvoir leur site web commun (centris.ca) et leurs services. L’ironie, c’est qu’en même temps, ils rebutent une partie de leur clientèle potentielle en résistant au vent de changement qui souffle sur leur industrie ‑un vent qui menace leur modèle d’entreprise lucratif.

Le modèle d’entreprise traditionnel dans le courtage immobilier, c’est le service complet : le courtier s’occupe notamment de décrire l’immeuble, de l’afficher sur le web, de le mettre en marché, de conseiller le vendeur et de le représenter. Le contrat de courtage oblige le courtier à fournir l’ensemble de ces composantes de manière groupée : au Québec, impossible pour le vendeur de se les procurer à la carte.

Le vent de changement, c’est celui du « dégroupage » : la séparation d’un service en plusieurs composantes. Un vent qui a déjà transformé d’autres industries comme le courtage de valeurs mobilières et la distribution de produits d’assurance. En 2010, le Bureau de la concurrence a ouvert la voie au dégroupage du courtage immobilier au Canada. Dans les autres provinces, les chambres immobilières ont dû supprimer les règles qu’elles avaient établies pour décourager leurs membres qui voulaient offrir aux vendeurs de simples affichages sur le réseau MLS. Le simple affichage, offert à prix forfaitaire, est une solution de rechange bon marché au service complet à commission.

Le dégroupage du service immobilier est-il dans l’intérêt des vendeurs ? Faisons un petit calcul: pour quelques centaines de dollars, un inspecteur en bâtiment identifiera les faiblesses de votre immeuble, vous permettant de le décrire honnêtement; idem pour un évaluateur agréé qui vous aidera à fixer un prix raisonnable; 1000$ vous achèteront de belles photos, la pancarte et l’affichage sur le web; et pour un autre 1000-2000 $, un notaire vous fournira du soutien-conseil au travers du processus. Somme toute, des frais minimes par rapport aux 20, 30 ou 40 000 $ de commission que prend un courtier pour son service complet (lequel comprend aussi, il est vrai, des tâches aussi complexes que de répondre aux appels et d’organiser les visites). Combien de temps faut-il à M/Mme Tout-le-monde pour gagner 20 000$ après impôt ?

On veut votre bien et on l’aura
Mais ce vent de changement n’a pas encore atteint le Québec. Car chez nous la Loi sur le courtage immobilier a coulé dans le béton le modèle d’entreprise à service complet. Cette loi attribue aux courtiers une responsabilité professionnelle. Dès lors, pour l’assumer, ils affirment devoir prendre en charge tous les aspects de la vente, même quand le vendeur ne désire que le simple affichage. Cherchez l’erreur!

C’est cette rigidité de l’offre, consacrée par la Loi sur le courtage immobilier, qui pousse un nombre croissant de vendeurs à se tourner vers des services d’affichage non-réglementés et beaucoup moins dispendieux.

Que certains vendeurs désirent le service complet, que d’autres ne soient pas outillés pour mener une transaction à bon port, je veux bien. Mais en interdisant aux courtiers de dégrouper leur offre pour l’adapter aux besoins diversifiés des vendeurs, la loi québécoise va trop loin. Elle infantilise les vendeurs et les acheteurs en les supposant incapables de discernement. Sous prétexte de protéger le public, elle sert surtout à protéger le biftèque des courtiers, en particulier leur modèle d’entreprise le plus lucratif.

Les courtiers pourraient méditer Le chêne et le roseau : quand souffle le vent du changement, ce n’est pas le chêne rigide qui survit, c’est le roseau flexible.


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Quelques documents de référence
La Loi sur le courtage immobilier et ses règlements. L'article 26 de la Loi énonce que les règles relatives au contrat de courtage sont prévues par règlement de l’Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier (OACI). Cet organisme d'autoréglementation a édité un "formulaire obligatoire" appelé "Contrat de courtage exclusif - Vente" dont l'article 9.1 énonce les obligations du courtier; parmi ces obligations figure celle "d'effectuer toute la mise en marché usuelle". L'article 22 du "Règlement sur les contrats et formulaires" interdit de modifier de quelque façon que ce soit un formulaire édité par l’Organisme relativement à un contrat ou une proposition de transaction visé par la présente section pour diminuer les obligations du courtier. L'article 30 de la Loi énonce qu'un client ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère la loi. L’article 6 du "Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité" interdit au courtier d’insérer dans un contrat de service une clause excluant directement ou indirectement, en totalité ou en partie, sa responsabilité professionnelle. 

L'entente de 2010 entre le Bureau de la concurrence et l'Association canadienne de l'immeuble (ACI) en vertu de laquelle les chambres immobilières du Canada, sauf celles du Québec, ont été obligées de supprimer les règles qu'elles avaient établies pour défavoriser leurs membres qui offraient de "simples affichages". 

Les articles 77 et 78 de la Loi sur la concurrence, portant respectivement du la "vente liée" et "l'abus de position dominante". C'est en s'appuyant sur la notion "d'abus de position dominante" que le Commissaire de la concurrence a poussé les chambres immobilières du ROC à modifier leurs règles protectionnistes. 

Une analyse de l'entente entre le Bureau de la concurrence et l'ACI réalisée par la Chambre immobilière du Grand Montréal (CIGM) en 2010.

Une vidéo expliquant du risque que représentent les "simples affichages" de propriétés "A Vendre Par le Propriétaire" (AVPP / FSBO) pour le biftèque des courtiers, par le président de la CIGM. Voir le "risque #2" à environ 2m28 de la vidéo. Voir aussi les commentaires des membres de la CIGM sous cette vidéo. 

Le jugement de la Cour supérieure du Québec confirmant, en appel, le jugement de la Cour du Québec, laquelle a rejeté une plainte de l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier (OACI) contre duProprio. La plainte de l'OACI alléguait que duProprio avait « agi de manière à donner lieu de croire qu’elle était autorisée à exercer l’activité de courtier ou d’agent immobilier ». 

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Aux gens de l'industrie du courtage qui se demandent qui je suis et pourquoi j'ai rédigé ce texte, sachez que je ne suis en relation ni avec l'ACI, ni avec duProprio, ni avec un autre joueur de l'industrie immobilière. Je suis un simple propriétaire qui, après plusieurs transactions réalisées via des courtiers, a tenté l'expérience AVPP, qui s'est avérée fructueuse. Dans le cadre de cette transaction, j'ai été un client du service d'affichage duProprio, mais sans avoir eu un quelconque rapport spécial avec cette entreprise en dehors du rapport client-fournisseur normal. Je suis motivé ici par mes expériences antérieures avec divers agents et courtiers immobiliers.